La réalité de la legaltech en France ?
Quelle est la place réelle occupée par la Legaltech ? Minorée par certains, fantasmée par d’autres… Le Village de la Justice a interviewé un fin connaisseur du domaine de la legaltech, Alexis Deborde, expert de la Legaltech, conseil en stratégie digitale pour les professionnels du droit, agence qui sera un des animateurs-experts importants du prochain Village de la Legaltech.
Alexis, à partir de quel moment un service proposé en ligne est vraiment de la legaltech et pas seulement du marketing ?
Alexis Deborde : Il y a de nombreuses inexactitudes autour du terme « LegalTech » qui sème une certaine confusion entre ce qui relève d’un écosystème, d’une innovation marketing ou technologique, des start-ups numériques du droit, parfois encore des braconniers du droit, etc …
Il est temps d’arrêter de parler des « LegalTech » pour définir les nouveaux entrants sur le marché du droit en les opposant aux professions réglementés et acteurs déjà présents sur le marché du droit. Cet approche nuit à la compréhension globale de la transformation du marché du droit et conduit de nombreux décideurs et représentants des professions à prendre de mauvaises décisions.
Aujourd’hui, tous les acteurs du droit et en premier lieu les professions réglementées sont concernées par la technologie pour améliorer leur mode de production et de livraison de leurs prestations afin de répondre aux nouvelles attentes et modes de consommation de leur client.
- Alexis Deborde
Pour cette raison je préfère considérer la LegalTech comme un écosystème d’acteurs divers qui se développent autour de ces innovations (technologiques, usages, marketing …). Il s’agit encore de précurseurs, mais leur approche est contagieuse et se développe rapidement auprès des entrepreneurs du droit, qu’ils soient huissiers de justice, avocats, notaires, éditeurs, directeurs juridiques ou encore start-uppers.
Contrairement aux idées encore reçues par beaucoup, je suis convaincu que leur perception d’un marché du droit aligné sur les intérêts du justiciable est l’avenir.
Plus concrètement, ces acteurs participent à la transformation du marché du droit de nombreuses manières : en communiquant différemment sur leurs expertises et leurs savoir-faire, en renouvelant leurs offres de services, en rationalisant et en automatisant leurs modes de production, … mais à chaque fois ils poursuivent un même objectif : améliorer l’accès au droit et la qualité des services rendus à leurs clients et aux justiciables.
Comment voyez-vous l’état du marché de la Legaltech : à quel niveau de maturité sommes-nous ?
Le marché n’est encore qu’à ses débuts et tout (ou presque) est à construire pour de nombreuses raisons !
Le marché est gigantesque et plus de 50% des justiciables et entreprises n’ont toujours pas accès au droit ou n’ont pas conscience que leurs problèmes sont d’ordre juridique….
Certaines professions sont dans les starting block mais sont encore bloquées par leur réglementation pour partir à la conquête de nouveaux marchés – je pense notamment aux Huissiers de Justice pour qui la publicité est toujours interdite alors que – par exemple – les créances non-recouvertes représentent 56 milliards d’euros par an, soit 2% du PIB !
Enfin, les justiciables sont d’abord des citoyens qui adoptent de nouveaux modes consommations et attendent de plus en plus des professionnels une relation client exemplaire impliquant rapidité, simplicité et « fair cost ».
L’Observatoire des Legaltechs du Village de la justice montre qu’actuellement 13% des legaltech sont issues de professionnels du droit contre 80% de startup (qui peuvent d’ailleurs être créées aussi par d’anciens professionnels du droit). Cette implication est-elle amenée à évoluer selon vous ? Les avocats par exemple ou les huissiers sont-ils assez armés pour faire de la « vraie legaltech » ?
En réalité, de nombreux acteurs innovent au sein même de leur structure et ne sont pas étudiés directement par l’Observatoire. J’ai en-tête le cas du cabinet Omer Avocats qui depuis 8 ans investit le marché du divorce mutuel low cost. Le cabinet investit à la fois dans une offre de service qui prend en compte les attentes des clients et a développé des outils permettant de traiter les demandes de divorce amiable de manière simple et rapide. Le professionnel est en mesure de traiter simultanément de très nombreux dossiers en se concentrant sur l’essentiel : l’écoute et le conseil dont le client a besoin pour surmonter son problème quand c’est nécessaire.
Cet exemple montre par ailleurs que certains cabinets d’avocats précurseurs n’ont pas attendu l’arrivée des start-ups numériques du droit pour innover !
Plus généralement, nous sommes convaincus que l’innovation et la transformation numérique se feront d’abord au sein des cabinets et des études.
L’essentiel de nos missions a vocation à donner aux professionnels du droit les moyens d’adopter ou de développer les outils nécessaires pour mieux répondre aux attentes de leurs clients et réussir à leur transition. En quelque sorte et pour reprendre les termes de la question, nous aidons chaque acteurs du droit à devenir « LegalTech » plutôt que de les encourager à quitter leur profession ou créer en marge des start-ups numériques du droit.
A ce titre, la démarche engagée par l’École de Formation des Barreaux avec le « LAB » que nous coordonnons depuis le début de l’année est à ce titre intéressante et vise à donner à tous les futurs avocats les clefs de compréhension nécessaire au développement de cabinet moderne. Outre le fait que les 1.600 élèves qui sortiront de la Promotion Darrois auront suivi près de 15 heures de formation théorique en e-learning sur les grands enjeux de la transformation de leur marché, nous encadrons plus de 250 groupes de 6 élèves travaillant dans le cadre d’ateliers pratiques sur des sujets concrets et proches des réalités auxquelles ils seront confrontées dès les premiers années de leur activité (stratégie de référencement, justice prédictive, enjeux déontologiques liés au numérique, adoption des méthodes legal design, modélisation juridique, développement de projets interprofessionnels…).
Il y a fort à parier que cette démarche engagée par l’école donnera envie aux nouveaux entrants de moderniser les cabinets qu’ils intégreront à la sortie de l’école ou encore de développer leurs propres projets dès la sortie de l’école !