
Quelles nouvelles compétences pour les professionnels du droit ? Les softskills et la Legaltech...
LexisNexis a proposé en avril 2019 une intéressante table-ronde "Professionnels du droit et transition digitale, quelles nouvelles compétences acquérir ?" avec des intervenants pertinents qui ont échangé sur les compétences, nos compétences, à développer dans un monde professionnel en transformation...
Voici quelques idées phares du débat que nous partageons avec vous, directement en lien avec le prochain Village de la Legaltech.
- De gauche à droite : Mustapha Mekki, Audrey Benguira, Pierre Berlioz, Emilie Letocart-Calame et Thierry Bretout.
Les métiers du droit évoluent vers une hyper spécialisation et connaissent la concurrence de l’IA, de nouveaux outils apparaissent (dématérialisation, statistique juridique...), l’interprofessionalité (ou plutôt multiprofessionnalité) se profile. On n’exercera plus demain comme aujourd’hui, et il faut s’y préparer...
Pour Mustapha Mekki (agrégé des Facultés de droit, professeur à l’Université Paris 13 - Sorbonne Paris Cité, directeur de l’Institut de recherche pour un droit attractif (IRDA), expert au Club des juristes), l’enjeu est l’image d’un juriste plus ouvert sur son environnement et ses contraintes : davantage de numérique, nouvelles façons de penser, notamment le droit comme une "intelligence juridique", et pour finir une sorte de "dé-étatisation" (le droit devient un produit comme un autre et de moins en moins un service public). Il faut donc se former !
Pour Emilie Letocart-Calame (Juriste, membre de l’AFJE), les juristes ne sont pas formés aux technos ni aux softskills. C’est d’autant plus difficile d’acquérir les softskills que l’on ne connait pas le degré de contribution de la legaltech au
marché du droit à l’avenir (son impact) ni celui des juristes à la legaltech. Mais, et c’est très important : les softskills permettront aux juristes d’éviter que la technologie ne prenne le dessus en remplaçant l’humain, et remettent la créativité au centre. C’est hélas un sujet où il y a trop peu de formations disponibles...
Thierry Bretout (expert Comptable) confirme cela en tirant la sonnette d’alarme : "De toute façon la legaltech va supprimer des emplois et on va intégrer davantage de développeurs que de juristes à l’avenir ; formation ou pas, c’est inéluctable"... Il faut donc commencer à s’adapter !
Sur ce point précis, Mustapha Mekki a estimé que c’était sans doute plus complexe que cela : "le droit est plus que du chiffre et du texte de loi, il nécessite de la créativité". La machine va apporter une "réintermédiation pour
l’intelligence", il faudrait toujours des juristes aux cotés du logiciel...
Réaction d’une avocate, Audrey Benguira (Avocate, ex PWC puis Rödl & Partner Avocats) : "Dans le contexte actuel, le client est au coeur de tout ; il veut une solution et aujourd’hui la tech n’est pas encore assez créative." La Legaltech serait encore une concurrence de niveau assez faible pour l’avocat, donc celui-ci doit l’utiliser et réfléchir à son coeur de métier pour préparer demain.
"C’est une approche entrepreneuriale qu’il faut avoir, créative,
c’est donc une softskill !" Les softskills permettent de sortir du rôle du "technicien du droit" pour préparer demain.
Pierre Berlioz (Directeur de l’EFB Paris) a poursuivi sur ce thème : "Oui le juriste doit être créatif, mais il ne faut pas perdre le client en laissant à la Legaltech toutes les missions perçus comme peu importantes. Il faut développer les compétences entrepreneuriales et utiliser les technos de masse pour garder les clients même pour des sujets de "faible valeur ajoutée" car ce sont bien souvent de premiers contacts débouchant sur autre chose... Si l’avocat à l’avenir ne fait plus les prestations de premier niveau, il ne verra plus le client !"
De fait, si le client est au centre de tout, on doit partir de ses
besoins sans trier selon la valeur de l’acte au risque en effet d’apparaître comme dédaigneux et ne plus revoir le client qui aura trouvé dans des solutions low cost et numériques la satisfaction de son besoin... qui est important pour lui. C’est aussi un moyen d’intégrer les juristes juniors sur de premières tâches dans leur vie professionnelle. Comment parferont-ils leur formation demain si il n’y a plus de missions relativement faciles mais fondamentales ?
Pour revenir sur le sujet du lien entre les softskills et la legaltech, les intervenants étaient tous d’accord sur le fait qu’il faudra de plus en plus souvent travailler avec des développeurs, des designers, des gens du marketing... donc savoir travailler avec d’autres gens que des juristes, en mode plus collaboratif et plus communicant.
Parmi ces compétences non techniques utiles mais encore peu développées, qui seront utiles dans un nouveau monde pour les métiers du droit : la créativité, savoir co-créer, savoir écouter, faire preuve de pédagogie, d’adaptabilité, de curiosité, savoir croiser les savoirs (pour comprendre l’impact des technos sur le droit et les nouveaux acteurs -comme pour la blockchain ou les ICO- pour retransférer la techno dans l’analyse juridique. Il faut comprendre la nouvelle techno pour parler droit), une capacité à faire passer un message à l’oral, une capacité à travailler en groupe sur des projets et à les défendre, avoir sortir de l’addition des compétences pour aller vers la multiplication, la capacité à comprendre le client (son besoin, et retranscrire une solution juridique pour lui), l’adaptabilité, la gestion de conflit et savoir favoriser la coopération...
Voici de quoi alimenter la réflexion des professionnels du droit, des legaltech et des formateurs !
Il n’y a bien entendu pas une liste finie de softskills pour tous, cela dépend des gens, personnalités et situations. Mais s’il ne devait en reste qu’une selon les intervenants, c’est la communication, primordiale, pour rendre l’invisible visible.
Au-delà des évolutions de la relation-client, tout cela permet aussi de se préparer aux métiers de demain que l’on ne connait pas encore, et du même coup pour les senior d’appréhender d’autres façons de recruter...
Le sujet de la formation continue est primordial, puisque des générations entières n’ont rien appris de tout cela et qu’il faut désormais apprendre à s’adapter en permanence : même en formation initiale on ne peut anticiper à 10 ans nous a dit Pierre Berlioz ; la formation continue doit donc favoriser la mobilité (professionnelle et intellectuelle).
Voilà de nombreux sujets au coeur de l’édition 2019 du Village de la Legaltech, dont un des thèmes majeurs sera la combinaison entre les puissances humaines et technologiques...
Notes de Christophe Albert, Village de la Justice.